Introduction : sur les pas des Romains

La Via Domitia, aussi appelée voie Domitienne, est le premier ouvrage bâti par les Romains en Gaule. Si aujourd’hui, la totalité de la route n’a pas été remise à jour, plusieurs fragments ont été découverts ces derniers siècles, nous laissant appréhender le génie civil et les prouesses techniques romaines.

Longer la Via Domitia c’est comme marcher dans les pas des Romains. Ils ont en effet laissé une empreinte forte de leur identité sur la région, qui est la zone géographique possédant le plus de vestiges romains après l’Italie. Il faut dire que la Gaule Narbonnaise est la première province romaine, si bien qu’avec le temps, on ne distinguait plus vraiment un Romain de Rome et un Romain de Narbo Martius (actuelle Narbonne).

Découvrez donc l’Histoire de cette route millénaire, jalonnée de sites archéologiques, de villages pittoresques et de paysages spectaculaires. 

Petit rappel : Étant donné le peu de sources concernant cette période, certaines informations ne restent que des suppositions jusqu’à preuve du contraire. Les informations peuvent être mises à jour suite à de prochaines découvertes !

I – Histoire et usage de la Via Domitia 

Peinture de la bataille entre Scipio et Hannibal
  • Rappels et contexte historique avant la construction de la Voie

Durant la Première Guerre Punique (264 à 241 av. J.-C.), Rome a pu conquérir ses premiers territoires hors de la péninsule italienne :  la Corse, la Sardaigne et la Sicile. Cette guerre opposait Rome à Carthage, sa grande rivale, qui a une grande influence en Méditerranée jusqu’en 200 avant notre ère. La rivalité entre les deux civilisations aura pour conséquence une longue période de guerres, de 264 à 246 avant notre ère. Les troupes carthaginoises sont menées alors par le général Hamilcar Barca à partir de 242 et la victoire de Rome en 241 va laisser un goût amer. 

Hannibal, fils d’Hamilcar, va mener la Seconde Guerre Punique en 219 avant notre ère. Son père l’a élevé de telle façon qu’il voue une haine contre les Romains depuis toujours. Le siège de la ville de Sagonte sur les côtes ibériques, une ville alliée de Rome, va lancer les hostilités. Hannibal va réunir une armée de plus de 100.000 soldats, dont certains venus de peuples africains non-Carthaginois notamment, et les légendaires éléphants.

Il va traverser la Gaule Transalpine et se heurter à de plus en plus de difficultés dans les terres italiennes. Ce n’est que lorsque Scipion, dit “l’Africain” va aller à la conquête de Carthagène en 204 avant notre ère qu’Hannibal va être contraint de se replier pour aller défendre la cité. Hannibal et Carthage sont vaincus en 202 avant notre ère : la cité va donc céder à Rome la péninsule ibérique et des villes sur les côtes africaines.

Statue Cnaeus Domitius Ahenobarbus
  • La gloire de Domitius

Le Sénat de Rome confie la construction d’une voie terrestre reliant Rome à la péninsule ibérique au proconsul Domitius Ahenobarbus. Si le proconsul est choisi, c’est en raison de sa victoire en 121 av. notre ère. En effet, au côté de Quintus Fabius Maximus, il va écraser les Allobroges et les Arvernes. Cette même année, Nemausus (Nîmes), capitale des Volques, passe donc sous contrôle romain. 

Il entame la construction de cette voie qui s’étend sur 250 km de long pour relier l’Italie à l’Espagne vers 118 av. notre ère. L’objectif de cette voie est de pouvoir mobiliser plus rapidement des troupes en cas de troubles dans la région. Pour construire la Voie, il va s’appuyer sur l’ancien tracé de la Voie Héracléenne, la route mythique qu’aurait emprunté Hercule.

Plus généralement, si des tracés anciens ont été réutilisés, Rome est à l’initiative de nouveaux tracés pour rendre la voie le plus efficace possible.

Représentation e la construction de la Via Domitia Aquarelle par J-C. Golvin
  • Construction de la voie Domitia

La construction de la Via Domitia est un processus particulier qui témoigne de toute l’ingéniosité des Romains. En effet, il est possible que la voie construite dans la région n’est pas faite de la même façon le long de son parcours. On peut également trouver des parcelles de voies dallées, d’autres pavées et d’autres plus simplement empierrées. Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve trois différents revêtements.

Dans les villes, par soucis esthétique, on retrouve la voie dallées/pavées et plus généralement, dans le campagne, la voie simplement empierrée, qui restent plus pratiques.

Selon les fouilles archéologiques, il y a plusieurs étapes de construction de la Via Domitia.

Tout d’abord, on commence par un creusement, puis on pose une épaisse couche de mortier et de sable. Une nouvelle couche de pierres, de graviers et de sable est ensuite posée, pour enfin damer le sol et finalement mettre le revêtement qui convient le mieux, soit des dalles, des pavées ou des graviers compactés. Les différentes portions de la voie sont le reflet de l’environnement qui les entoure. En effet, pour des raisons de coût, on utilise les matériaux que l’on peut trouver à proximité du chantier. En général, la voie est large de 6m pour permettre une circulation dans les deux sens. 

Les personnes chargées de construire la voie se trouvent parmi les légions romaines qui sont alors composées de différents métiers. On peut ainsi retrouver des bâtisseurs, qui sont chargés des travaux dits de “génies civils”

Portion de la Via Domitia à Ambrussm
  • Qui utilise cette voie terrestre ?

Comme on a pu le voir, c’était surtout et avant tout pour permettre une circulation efficace des militaires à partir de Rome jusqu’aux terres ibériques. La Voie Domitienne est aussi un moyen pour les fonctionnaire de Rome d’accomplir leur devoir de poste impériale, dit cursus publicus. La Poste impériale a été créée par Auguste afin de faciliter les remontées d’informations de la Province, de transmettre les ordres, mais aussi d’accompagner les personnes, notamment celles en mission d’Etat officielle.

Cette route est aussi utilisée par les commerçants, qui transportent leurs marchandises de villes en villes. Elle a donc facilité les échanges entre les cités, lorsque le transport fluvial et maritime n’était pas utilisé. 

Borne milliaire
  • La Via Domitia comme outil de communication

Le long des voies romaines, on peut retrouver des bornes milliaires : ces bornes sont installées tous les milles romains, soit à chaque 1.481 mètre environ. Ces bornes sont une aubaine pour les archéologue car elles portent plusieurs types d’informations : 

  • la distance entre la borne et les cités les plus proches
  • le nom de l’autorité (empereur, gouverneur, consul…) qui a ordonné la réfaction de la route, avec tous les titres qu’ils possèdent

Les bornes milliaires, en plus d’être des bornes routières, sont aussi des outils pour connaitre les personnes qui ont eu un rôle politique important. En effet car leur fonction politique et leur statut est marqué avec précision.

C’est donc aussi des outils de propagande. Il faut dire qu’elles sont le symbôle de l’action du pouvoir. L’Empire romain étant vaste, c’est un véritable moyen pour le gouvernement de communiquer et être présent sur le territoire. 

Ces bornes militaires attestent donc de l’entretien qui est porté à la voie Domtienne par les gouverneurs, ainsi que les empereurs. Ce qui est parfois étonnant, c’est de trouver plusieurs bornes milliaires au même endroit. Cela ressemble à une guerre d’égo entre les différents acteurs de la voie. 

II – Les sites Romains autour de La Via Domitia 

C’est sous le règne d’Auguste que des cités et lieux romains vont le plus se développer sur le territoire. Voici une sélection des sites les plus impressionnants, encore visibles aujourd’hui.

  • Les oppida

Les oppida sont des villages fortifiés construits durant l’époque de Fer (850 à 50 avant notre ère). On les retrouve généralement sur les hauteurs, ce qui offre une meilleure défense, en plus des fortifications construites. Ils jouissent d’une grande activité économique, avec une grande pratique d’artisanat comme la ferrerie ou encore la verrerie.

En effet, il est attesté que des sites comme Ensérune ou Ambrussum voient alors circuler des objets venus de différentes contrées, et ce avant même que la Via Domitia soit construite. A Ensérune, des artefacts grecques ont été retrouvés, et cela s’explique par l’implantation de ports grecques sur le pourtour du Golf du Lyon, comme Massalia, Agathé, Rhodé….

Oppidum d’Ensérune

L’Oppidum d’Ensérune, qui se situe entre Narbonne et Béziers, est un site remarquable. On estime que la fondation remonte à environ 600 av. notre ère.  Cet oppidum a été impacté par l’influence de divers peuples, que ce soit celtes, grecs, romains… L’Oppidum d’Ensérune était un carrefour du commerce et de l’artisanat, proche ensuite de la Via Domitia qui passait au pied de ce dernier. 

Oppidum de Cessero

C’est au cœur de la commune de Saint-Thibéry que l’Oppidum de Cessero est visible. L’oppidum de Cessero est un site archéologique exceptionnel qui permet de retracer l’histoire de la région sur plusieurs millénaires. Les fouilles archéologiques ont permis de mettre au jour de nombreux vestiges. La ville de Saint-Thibéry est aussi connue pour les vestiges de son pont supposé romain, qui permettait alors à la Via Domitia de traverser le fleuve de l’Hérault.

Oppidum d’Altimurium (site archéologique du Castellas) 

L’oppidum du Castellas, situé à Murviel-lès-Montpellier, a été occupé entre le IIIe siècle av. notre ère et le IIe siècle après. Culminant  190m d’altitude, on peut observer les Cévennes depuis le site.Durant l’occupation romaine, la cité qui borde la Via Domitia dépend de Nîmes. Il va cependant être détruit en 737 par Charles Martel et rester inoccupé jusqu’à sa redécouverte en 1951.

Oppidum d’Ambrussum 

L’Oppidum d’Ambrussum est un site remarquable qui borde les vestiges de la Via Domitia. Ambrussum est assez unique car c’est l’un des rares à avoir une partie de la voie pavée et aussi bien conservée, avec même des ornières (des traces de chariots romains). Les vestiges du Pont Ambroix domine le fleuve du Vidourle et permettent de voir l’ingénierie romaine. Cette arche à pour ainsi dire survécut à plus de 2000 ans de vidourlades (les crues du Vidourle) ! On estime que le pont comportait 11 arches au total, pour un longueur de 150m environ, afin que les usagers de la voie puissent traverser le fleuve, même en temps de crue.

Oppidum d'Ebsérune
  • Les relais le long de la Via Domitia

Les relais ont un rôle essentiel pour les voyageurs. En effet, durant l’Antiquité, on ne voyage pas de nuit. Ils constituent un véritable service le long des routes, où les usagers de la voie peuvent se restaurer, de même pour leur monture, tout en gardant leur attelage en sécurité. On estime que les relais routiers ont été construit en grand nombre, pour répondre au mieux aux besoins des voyageurs. Il y en avait dans les grandes agglomérations mais aussi en pleine campagne. 

Le relais de Marinesque à Loupian 

Les archéologues ont pu mettre à jour, depuis 2004, des vestiges d’un ponceau et de bâtiments. Ces derniers formeraient une auberge qui aurait fonctionné au cours du Ier siècle. Étant donné qu’elle borde la Via Domitia, le rôle de relais routier est évident. Bordant le petit cours d’eau du Marinesque, il est possible que les crues répétées aient favorisé l’abandon du site au cours du Haut-Empire (27 av. J.-C. à 192 ap. J.-C). 

Le relais routier d’Ambrussum

La partie privée du site archéologique d’Ambrussum, qui longe le fleuve de l’Hérault, constitue un relais routier qui aurait été créé au cours du Ier siècle avant notre ère. Installé au pied de la colline, les fouilles ont permis de mettre à jour différents bâtiments qui composent alors le relais routier : trois auberges, un établissement thermal, un petit lieu de culte, une forge, ainsi qu’un bâtiment de l’administration impériale servant de relais de poste.

Ces lieux font partis des sites romains incontournables à visiter en Languedoc.

Image d'un relai
  • Les cités romaines autour de la Voie Domitia

La présence des Romains sur le territoire de la Gaule Narbonnaise a induit la création de nombreuses colonies dans la région. On peut citer Narbo Via, colonie romaine qui deviendra la capitale de la Narbonnaise. 

Narbo Martius ou Narbonne 

Cette colonie est fondée en 118 avant notre ère. On la surnomme première fille de Rome car c’est la première colonie romaine fondée en Gaule. Elle va se développer au cours du temps, et connaître un essor lorsque Auguste y séjourne pour la proclamer capitale de la Gaule Narbonnaise. L’importance de la ville est telle qu’elle compte 40.000 habitants au Ier siècle. La découverte à Port-la-Nautique d’une villa et d’un vivier plus grand que celui construit par l’Empereur Tibère à Rome montre aussi l’importance de la colonie pour Rome. D’après les dates et les sources, cette villa serait en fait un lieu de villégiature pour l’empereur Auguste.

Nemausus ou Nîmes

La ville de Nîmes est un véritable écrin de vestiges gallo-romains en très bon état de conservation. Elle a connu une occupation par les Volques jusqu’à l’arrivée des Romains dans la région au cours du IIe siècle av. notre ère. C’est au cours du Ier siècle av. notre ère que la ville va voir divers monuments grandioses l’habiter. Le Pont du Gard, construit au cours du 1er siècle de notre ère, va apporter une valeur en plus à la ville qui se voit alimenter en eau courante, pendant près de 5 siècles.

Arelate ou Arles

La ville d’Arles possède une longue histoire. En effet, avant les romains, une présence indigène a été révélée par des fouilles archéologiques. Sa fondation en tant que colonie romaine remonte à 46 av. notre ère, lors de l’arrivée des soldats de la IVe légion. Jules César récompense ainsi le soutien des Arlésiens pour vaincre Pompée. La ville est alors complètement réorganisée, à l’époque même du principat d’Auguste. Lorsque l’on compare les monuments avec ceux de villes comme Orange, on se rend compte que la plupart des monuments datent de l’époque augustéenne, soit à la fin du Ier siècle av. notre ère.

Maison Carrée de Nîmes

En résumé

La Via Domitia constitue un axe routier majeur au temps des Romains, et va faciliter l’urbanisation de la région, déjà occupée par des peuples celtes et gaulois. Cette route va donc permettre le développement de la région de la Gaule Narbonnaise. La voie a joué un rôle crucial dans l’intégration de la Gaule Narbonnaise à l’Empire romain. Elle a permis la circulation des personnes et des biens, favorisant ainsi les échanges commerciaux et culturels.

Bien qu’elle ait fini par être abandonnée au cours de la chute de Rome et du Moyen-Âge, elle ne demeure pas moins un vestige majeur, témoin de la puissance et de l’ingéniosité romaine. Les recherches archéologiques sur la Via Domitia se poursuivent et permettent d’en apprendre davantage sur son histoire et son importance.

Pour plus d’information : La voie Domitienne du Rhône aux Pyrénées – Archéologie de la route en Languedoc. (s. d.)., document pdf https://www.culture.gouv.fr/regions/Drac-Occitanie/Ressources-documentaires/Publications/Collection-DUO/La-voie-Domitienne-du-Rhone-aux-Pyrenees-Archeologie-de-la-route-en-Languedoc